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Anatoli Prizenko, commanditaire présumé des étoiles de David taguées dans Paris, prétend que l’action visait à «soutenir» les Juifs

«CheckNews» a pu contacter l’homme d’affaires moldave, qui reconnaît avoir joué un rôle derrière les pochoirs d’étoiles bleues qui ont mis la France en émoi pendant plusieurs jours. Les enquêteurs privilégient la piste d’une opération de déstabilisation étrangère.
par Jacques Pezet et Elsa de La Roche Saint-André
publié le 8 novembre 2023 à 17h44

Les plus de 200 étoiles de David bleues peintes au pochoir dans les rues de Paris et en proche banlieue fin octobre seraient une action «de soutien aux Juifs d’Europe». C’est du moins ce qu’affirme celui qui a été présenté dans la presse comme le commanditaire présumé de l’opération, et que CheckNews a pu contacter. L’enquête, menée par la sûreté territoriale de Paris, pointe depuis plusieurs jours vers la Moldavie, après l’arrestation d’un premier couple de ressortissants du petit pays d’Europe orientale. Selon le Monde, reprenant les informations d’Europe 1, les auteurs des graffitis auraient agi contre rétribution, et à la demande d’un certain Anatoli Prizenko, homme d’affaires moldave, ancien proche du Parti des socialistes de la République de Moldavie (PSRM), une organisation pro-Moscou et eurosceptique.

Malversations financières

Ce presque quinquagénaire (48 ans) a été un militant actif en 2014 et 2015 du Mouvement populaire pour l’union douanière, une structure pro-russe qui œuvrait pour que la région autonome moldave de Gagaouzie rejoigne l’union douanière de l’union eurasiatique chapeautée par Moscou, et non l’Union européenne. Ce mouvement a rallié le PSRM en 2015.

En 2012, Anatoli Prizenko aurait fait de la prison pour des malversations financières. L’homme d’affaires aurait été le représentant en Moldavie du système de fraude pyramidale MMM Global, lancé en 2011 par le criminel financier russe Sergueï Mavrodi. Après le gel des comptes des bénéficiaires moldaves du système, décidé en mai 2012, Anatoli Prizenko avait été placé en détention au mois d’août suivant. Selon les médias moldaves, il était «accusé de fraude et l’organisation de la pyramide financière».

Sur ses réseaux sociaux, que CheckNews a pu consulter, la majorité de ses publications mettent également en avant son travail de directeur de la branche moldave d’une société internationale de cosmétiques. Ses publications plus politiques sont favorables à la Russie et critique des Occidentaux.

Défense toute prête

Au bout du numéro de téléphone associé à ces différents comptes, CheckNews est tombé sur un homme se présentant comme Anatoli Prizenko, et assumant avoir joué un rôle dans l’opération. Mais l’homme, qui avait visiblement une défense toute prête, assure qu’elle n’a rien d’antisémite, et promet même une prochaine conférence de presse à Paris pour en expliciter la démarche : «L’action n’avait pas pour but d’offenser ou de blesser négativement les sentiments de qui que ce soit, et encore moins de les effrayer. Elle était pacifique. De plus, les étoiles ont été peintes avec une peinture spéciale lavable, ce qui exclut tout dommage aux biens. Dans le contexte des attentats et de l’antisémitisme en Europe, l’action avait pour seul but d’inspirer et de soutenir les Juifs d’Europe, de leur rappeler l’histoire du peuple juif. Et que Dieu les protège toujours !»

Prizenko s’indigne (ou feint de s’indigner) de la méprise, qu’il met sur les dos des responsables politiques français : «Ne comprenant pas la situation, ils ont suscité une vague de peur et de panique dans la société. J’ai envie de leur demander : comment n’avez-vous pas honte de comparer le symbole du bouclier de David, avec tout le respect qui lui est dû, avec l’étoile jaune fasciste ou d’autres symboles antijuifs !» Et l’homme d’affaires d’appeler les Juifs à ne pas avoir peur : «Si vous êtes Juif dans votre cœur, et pas seulement dans vos documents, mettez le bouclier de David sur votre maison, sur votre magasin, sur votre voiture. Ce sera un acte de foi, ce sera un acte de non-peur, ce sera un acte de soutien à tous ceux qui ont besoin d’aide et de soutien de la part des autres aujourd’hui.»

Il est impossible, en l’état, d’apporter le moindre crédit à cette défense. Pourquoi avoir attendu d’être contacté par la presse pour livrer cette version, alors que l’affaire met en émoi la France depuis des jours, suscitant l’inquiétude de la communauté juive ? Prizenko n’apporte aucune réponse à nos questions, renvoyant ses explications à cette hypothétique conférence de presse à Paris. Seule précision : l’homme se défausse derrière une organisation de la communauté juive européenne nommée «Bouclier de David», dont il prétend qu’elle a mené l’opération en France. Une structure que CheckNews n’a pas encore été en mesure d’identifier, rendant impossible de vérifier les dires de l’homme d’affaires.

Publication antisémite

En épluchant la production d’Anatoli Prizenko sur les réseaux sociaux, CheckNews n’a par ailleurs découvert aucun soutien explicite aux Juifs. A contrario, en 2014, l’homme avait relayé une publication antisémite concernant plusieurs personnalités ukrainiennes. Le 28 mars 2014, il partageait ainsi un texte, rédigé en russe par un certain Aristarkh Rabinovitch, soulignant l’origine juive de plusieurs hommes et femmes politiques ukrainiens. Un texte ouvertement antisémite affirmant que «les Juifs sont en première ligne du coup d’Etat nazi et de la destruction de l’Ukraine». L’Etat d’Israël y est qualifié de «colonie des Etats-Unis».

Si rien ne permet, à ce stade, de parler des étoiles bleues sur les murs parisiens comme d’une opération antisémite, les enquêteurs travaillent surtout sur une autre piste, celle d’une tentative de déstabilisation ayant pour cible la France. Dans son article, le Monde apporte des éléments dans ce sens. Selon l’enquête du quotidien, l’opération a été exploitée par le réseau Doppelgänger, également appelé RRN (pour Reliable Recent News : «nouvelles récentes fiables»), identifié comme un outil russe de désinformation et de déstabilisation. Selon le Monde, de très nombreux comptes X (anciennement Twitter) et Facebook liés à Doppelgänger ont diffusé à grande échelle, à partir du 28 octobre, deux photos des fameux pochoirs, ainsi que des articles insistant sur le caractère antisémite des tags.

Anatoli Prizenko ne nous a pas non plus répondu sur ces soupçons, continuant de promettre des réponses lors d’une prochaine rencontre avec la presse, dès qu’il aura «trouvé une salle».

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